Xavier Bertrand, un président des Hauts-de-France qui se rêve en président de la France
Dans les Hauts-de-France, on vote cette année. L’objectif est de renouveler l’assemblée régionale, dirigée par Xavier Bertrand. Ultra-favori, le président est d’ailleurs déjà en campagne pour une autre échéance: la présidence de la République en 2022.
Voilà un sondage qui a dû plaire au président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand. Alors que les élections régionales approchent, le journal La Tribune a donné le ton avec une première enquête sur les intentions de vote des habitants. Selon cette enquête effectuée en novembre 2020, quelles que soient les hypothèses du premier tour concernant le nombre de listes en lice, le président de région arriverait en tête avec 33%, voire 34%, soit huit à neuf points de plus qu’en 2015! Il serait également le premier quelle que soit la configuration au soir du second tour.
Le match semble déjà plié. Initialement prévues en mars 2021, mais repoussées au mieux en juin à cause de la pandémie (un report est encore possible), les élections régionales 2021 n’offrent guère de suspense dans les cinq départements des Hauts-de-France (Nord, Pas-de-Calais, Somme, Oise, Aisne). Xavier Bertrand est ultra-favori.
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À l’extrême droite, Marine Le Pen, capable de rassembler sur son propre nom, ne souhaite pas se présenter à nouveau. Certes, Sébastien Chenu, le député Rassemblement national (RN) pressenti pour la remplacer, bénéficie du label «Vu à la télé» (c’est l’un des porte-parole du RN, et à ce titre, on le voit un jour sur deux sur un plateau télé ou radio), mais ça ne lui a pas suffi à remporter la mairie de Denain en mars dernier. Le sondage lui donne un 29 % certainement encourageant.
Côté gauche, les forces politiques régionales sont toujours en train de chercher comment s’unir alors qu’elles sont absentes de l’hémicycle depuis 2015. Enfin, côté centre droit, une liste La République en marche (LREM, le parti d’Emmanuel Macron) peut théoriquement affaiblir un Xavier Bertrand qui piétine des plates-bandes similaires, mais elle a aussi du mal à se mettre en… marche. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites, Christophe di Pompéo, député du Nord, pour le moment, aucune tête de liste importante n’émerge et LREM semble avoir fait une croix sur ses ambitions régionales après celles des municipales de 2020.
La difficulté du bilan
Reste que cette nouvelle élection est l’occasion de regarder l’action de Xavier Bertrand au bout de six ans de mandat. Un bilan assez compliqué à tirer pour deux raisons. La première, c’est qu’il est le premier président des Hauts-de-France, fusion des ex-régions du Nord-Pas-de-Calais et de Picardie. Difficile donc de comparer.
La seconde tient évidemment au Covid-19. La déflagration sur l’économie, le social et le sanitaire n’a pas fini de se faire ressentir en France et dans la région. Après l’annonce de la fermeture de Bridgestone, fabricant de pneus à Béthune employant 863 personnes, l’économie devrait continuer à souffrir en 2021. Le secteur aéronautique (10 000 emplois, notamment autour d’Amiens), l’automobile (56 000 emplois) concentrent les inquiétudes. Et il sera difficile d’imputer ces difficultés à la politique régionale.
L’emploi et l’économie sont les deux martingales du président Bertrand depuis 2015. Pendant sa campagne, l’ex-ministre du Travail (sous Nicolas Sarkozy) avait annoncé remettre «la région au travail», en créant 60 000 emplois en neuf mois, avec le dispositif Proch’Emploi. En fait, il y en a eu 20 000… Le relatif échec de Proch’Emploi, qui repose finalement sur une promesse de campagne maladroite, cache un véritable volontarisme économique.
Subventions ou avances remboursables pour les entreprises en difficulté ou en croissance, nouvelles implantations ou agrandissements où il a mis tout son poids (Toyota, Amazon, Safran), prêts de voitures aux travailleurs en difficulté, développement de l’apprentissage, régionalisation du projet du canal Seine Nord en 2020 pour une plus grande efficacité (la société de projet était auparavant un établissement public d’État): tout cela n’est pas à mettre uniquement au crédit de Xavier Bertrand. Il en est cependant l’un des acteurs majeurs, malgré des échecs comme Whirlpool à Amiens (la reprise a été un échec). Le président est hyperactif sur ces dossiers et le fait savoir.
Xavier Bertrand s’est aussi beaucoup investi sur la culture, avec notamment l’Institut pour la photographie à Lille et le festival de séries Séries Manias déjà assez réputé. Côté positif aussi, le président a eu la satisfaction de voir la Cour des comptes saluer sa gestion pour maîtriser les dépenses de fonctionnement de la nouvelle région. De quoi néanmoins s’attirer les foudres des syndicats du conseil régional accusant Bertrand de «déserter les instances du dialogue social» quand il faut aligner les régimes indemnitaires des deux anciennes régions.
Le bilan est aussi terni par sa volonté de museler la parole des associations écologistes et citoyennes, en baissant les subventions
Côté face, en revanche, il avait fait grand bruit de ses arénas, des salles modulables de 800 à 6 000 places qui devaient mailler la région: si certaines sont en projet, on est loin de l’ambition initiale. Le bilan est aussi terni par sa volonté de museler la parole des associations écologistes et citoyennes, en baissant les subventions. Tout en fustigeant les éoliennes pour se porter candidat à un nouvel EPR (une centrale nucléaire). Des mesures et prises de position pour satisfaire l’électorat des chasseurs, mais sur lesquelles le président Bertrand se fait plus discret à mesure que le vote écolo prend de l’ampleur depuis les dernières européennes et municipales…
L’image avant tout pour la présidentielle
L’autre domaine dans lequel la marque du président Bertrand est bien visible, c’est l’image. Avec son aura d’ancien ministre et patron de l’UMP (ancien nom des Républicains, le parti de droite), le Picard a propulsé les Hauts-de-France sur le devant de la scène médiatique. Son prédécesseur dans le Nord-Pas-de-Calais, Daniel Percheron, était un illustre inconnu même des Nordistes et n’avait que 8% de notoriété une décennie après son début de mandat… Avec Xavier Bertrand, pas de ça: depuis 2015, on le voit – beaucoup trop ? – régulièrement sur les plateaux radios et télés nationaux, comme dans les journaux. Difficile d’ignorer qui il est.
Il intervient bien souvent sur des domaines loin de la compétence régionale, des domaines régaliens, de futur candidat à la présidence de la République
Ce qui est d’ailleurs peut-être la force et la faiblesse du mandat. À l’heure de faire les comptes, il est difficile de ne pas revisiter les six ans à l’aune de l’ambition de Xavier Bertrand. Le président de région ne s’en est jamais caché, il veut devenir… président de la République, la région lui servant de laboratoire.
Lors de ses interventions médiatiques, il ne manque pas de rappeler ce lien à la région, de mettre en avant ses réalisations, mais il intervient aussi bien souvent sur des domaines loin de la compétence régionale, des domaines régaliens, de futur candidat à la présidence de la République. Une ambivalence de fonction que ne manquent pas de souligner ses détracteurs.
2022, un pari difficile
Avec une telle présence médiatique et son bilan à la tête des Hauts-de-France, a-t-il une chance de détrôner Emmanuel Macron lors de la présidentielle 2022? Le verdict approche après la longue course en solitaire dans laquelle s’est lancé Xavier Bertrand il y a déjà quelques années, n’hésitant pas opportunément à s’affranchir de son parti, Les Républicains, quittés en 2017.
Ironie de l’histoire, celui qui y croit le plus, jugent les observateurs, espère désormais s’imposer comme le leader de la droite (et donc des LR)…Ce qui ne serait pas pour déplaire à certains cadres LR vu le peu de candidats capables d’élever le niveau, quand d’autres n’ont pas apprécié les louvoiements opportunistes du président de région. Car Xavier Bertrand déclarait tout de même à propos des LR: «Nous continuons à vivre ensemble, mais ça fait bien longtemps qu’on ne s’aime plus. Et on a peut-être plus grand-chose à faire ensemble.»
À l’automne, un sondage – encore un – donnait Bertrand dans la meilleure position pour représenter la droite à la future échéance présidentielle de 2022. Mais ce même sondage le plaçait encore très loin d’un Emmanuel Macron et d’une Marine Le Pen. Alors, si on peut parier sans grand risque que Xavier Bertrand sera réélu président de région en juin 2021, mieux vaut ne pas encore mettre sa main à couper pour la présidentielle 2022.